Mère Yvonne-Aimée à La Brardière

Mère Yvonne Aimée, Jeanne Boiszenou et Père Paul Labutte à la Brardière en septembre 1941
Yvonne Beauvais, de son nom de religieuse, Mère Yvonne-Aimée de Jésus (16 juillet 1901-3 février 1951), appartient à l’Ordre des Augustines Hospitalières de la Miséricorde de Malestroit où elle est admise le 18 mars 1927, et où elle va progressivement exercer différentes charges jusqu'à celle de Supérieure Générale.
Sa vie est depuis l’enfance toute au service de Jésus ‘Roi d’Amour’ qui a conquis son cœur et qui va peu à peu l’entraîner sur des voies mystiques. Présente sur tous les fronts, elle mène ‘le bon combat’ pour son Roi avec, pour seule arme, la Charité du Cœur du Christ. Sa vie est une épopée pleine d’aventures qui la font paraître tantôt au chevet des plus pauvres dans les faubourgs miséreux de Paris, tantôt dans les missions chez les Zoulous d’Afrique du Sud ou comme un vrai soldat, recherché et arrêté par la Gestapo, « femme d’un courage et d’un dévouement extraordinaire qui a transformé sa clinique en hôpital chirurgical du maquis », ce qui lui vaut différents honneurs militaires.
Par l’intermédiaire de Jeanne Boiszenou, qui travaille aux côtés de la mère d’Yvonne dans le même institut, elle découvre La Brardière, propriété de la famille Boiszenou. Elle y vient pour la première fois en 1924. Vers la fin de sa vie, elle écrit dans la dédicace d’un livre qu’elle offre aux sœurs Boiszenou :
« Chère vieille maison (de La Brardière) où je laisse une partie de mon cœur » -et elle ajoutera- « à perpétuité ».
Yvonne fait en tout cinq séjours en ce lieu.
12 décembre 1924 – Elle est la Brardière pour la première fois pour rendre visite à son amie et confidente Jeanne Boiszenou et à la maman de celle-ci qui est alitée.
2 septembre 1925 – Yvonne-Aimée est présente à la Brardière, court séjour au cours duquel Jeanne Boiszenou la prend en photo.
22 janvier 1927 – Elle arrive à la Brardière pour aider la famille en deuil du décès de Mme Camille Boiszenou. C’est le jour des funérailles le 24 janvier que Paul Labutte, le neveu de Jeanne Boiszenou, entre dans la confidence de la vie mystique d’Yvonne-Aimée. Elle repart par le train le 25 janvier suivant. Paul Labutte récemment libéré du Service militaire entre au séminaire quelques jours après.
11 au 26 septembre 1941 – C’est au cours de ce séjour qu’a lieu, entre autre, le ‘Miracle Eucharistique’.
28 juin au 21 juillet 1942 – Son dernier séjour à la Brardière.
Elle vit à la Brardière différentes expériences mystiques. C'est surtout ici aussi, que va être manifestée la maternité spirituelle d’Yvonne-Aimée envers le Sacerdoce, en la personne du père Paul Labutte.
Elle aime cet endroit pour son décor champêtre qui lui fait retrouver une vie simple au contact des petites gens, ce dont elle faisait déjà souvent l’expérience, dans la banlieue de Paris en visitant des familles défavorisées pour leur apporter de l’aide.
Elle passe de longs moments en prière dans le Petit Bois, bien avant que ne se produise le Miracle eucharistique. Elle s’intéresse à tout et à tous, aux fermiers, à leurs travaux agricoles et à leur élevage. Elle aime les rencontres en famille avec qui elle partage les joies et les peines. Le père Labutte ayant reçu du diocèse l’autorisation de célébrer à la Brardière durant ces séjour de 1941 et 1942, Mère Yvonne-Aimée aimait tout particulièrement participer en ce lieu à la Sainte Messe, car, confie-t-elle, elle peut se placer tout près du prêtre, contrairement au monastère où une grande distance les sépare.

La Maison de la Famille du Père Labutte aujourdh'hui
La Brardière devient un lieu où la présence du Christ se fait sensible dans le quotidien, ce qu’avec son humourhabituel, elle traduit quand, un jour, elle voit Jésus, debout devant un arbre près d'une porte de la maison. Elle ouvre alors la porte en invitant son Seigneur : « Entrez, Seigneur, parce qu’ici, nous sommes chez nous ! »
« J’eus l’intuition percutante qu’elle était une fille vraie jusqu’à la racine de son être ».
C’est ce naturel d’Yvonne qui a frappé d’étonnement Paul Labutte, tout particulièrement lors de leur rencontre du 27 janvier 1927. Très peu de personnes de son entourage sont au courant des phénomènes mystiques qui se produisent dans la vie d’Yvonne. Jeanne est l’une de ces privilégiées. Avec l’autorisation d’Yvonne et sur la demande de Notre Seigneur Lui-même, Jeanne met son neveu dans la confidence. Lui-même fait le récit de ce grand moment :
« Au sortir de cet entretien, de retour à la maison, nous rencontrâmes Yvonne au pied de l’escalier. Elle devait se demander comment le Normand que je suis avait accueilli une telle révélation. En rougissant légèrement et levant les yeux vers moi, elle dit :
« Votre tante vous a parlé de ‘mes affaires’ ?»
« Oui…»
Je regardai en face Yvonne ; je pensais qu’étant si près de Dieu, elle me dirait une parole mémorable comme le font les saints… Or, soudain, espiègle, elle reprit :
« Ce que votre tante vous a dit de ‘mes affaires’… ne vous a pas fait trop mal au crâne ? »
« Oh ! si !»
La glace était rompue. »
Paul Labutte, dès ce moment-là, a une « confiance absolue » en elle car – ajoute-t-il- « j’eus l’intuition percutante qu’elle était une fille vraie jusqu’à la racine de son être ».
Elle est authentique car en elle le surnaturel s’imbrique dans le naturel, ce qui fait tout l’attrait de sa personne. Il n’y a pas de césure entre sa vie intérieure et ses occupations extérieures. Elle fait tout avec évidence, sans affectation parce que tout jaillit d’un cœur sans partage, tout uni à son Seigneur et Maître. C’est pourquoi on l’aime bien. « Je l’aime bien, dit une des tantes de Paul Labutte, Catherine, qui ne connaissait rien de sa vie mystique, parce que c’est une ‘sainte’ ordinaire ! »
On l’aime bien aussi parce qu'elle fait du bien, parce qu'on éprouve le bienfait de sa présence, qui peut aller jusqu'à la guérison miraculeuse de Mme Camille Boiszenou (1er séjour), la grand-mère du Père Paul Labutte affectueusement appelée ‘Mamille’ par sa famille.
La Brardière est révélateur de l’unité de cette vie toute donnée. Elle vit « en profondeur », comme elle le dit un jour aux Sœurs de Malestroit. Le témoignage qu’elle cite peut très bien s’appliquer à elle : « Je sais des conversions qui ont lieu -dit-elle- au contact de Sœurs qui pourtant ne parlaient jamais de Dieu mais vivaient selon l’Évangile. »
Yvonne-Aimée met toutes ses forces à mener une telle vie évangélique. De la façon si simple dont se déroulent ses séjours en ce lieu, on pourrait y voir la mise en pratique de ce qu’elle enseigne à Malestroit.
Elle se dépasse constamment au prix de « petits sacrifices que personne ne peut voir ni contrôler parce qu’ils ne sont que pour Jésus ». Elle est respectueuse de tous, préférant être accusée que de porter des accusations, si bien qu’un jour, Jésus lui fait cette promesse : « Je ne te jugerai pas parce que tu n’as jamais jugé personne ! » Elle avance dans sa tâche, quelles que soient les fatigues car, « chaque jour, il faut recommencer avec l’audace de quelqu’un qui commence ». Surtout, elle garde le sourire, fait preuve d’humour et répand la joie car -dit-elle à la novice qu’était encore Anne-Marie Lefrançois, la future Mère Annie, co-fondatrice de la Communauté Notre Dame de La Brardière- « Dieu est essentiellement joie ». Celle-ci témoigne de l’attrait qu’exerce Mère Yvonne : « Elle nous entraînait. On avait toujours envie d’aller plus loin avec elle. »
Où qu’elle soit, au monastère comme à la campagne, Yvonne-Aimée est égale à elle-même et garde sa profonde intimité avec le Christ. À La Brardière aussi, elle reçoit des consolations de Son Divin Maître. Dans un moment de prière qu’elle passe à la cabane du Miracle en septembre 1941, Jésus se communique à elle :
«Dieu est essentiellement joie ».
Mère Yvonne Aimée
« Mon enfant bien-aimée, ma petite Reine, ne te déconcerte pas ! Suis droit ton chemin en restant de plus en plus abandonnée à Mon bon plaisir. Fais confiance à ton Jésus. La nuit de ton esprit sera le soleil de ton âme… Continue de vivre des heures de silence. »
Elle vit ici ces « heures de silence », hors des regards et un peu hors du temps, ce qui lui permet de dévoiler sa profonde physionomie intérieure toute enracinée dans la foi, libre de toute recherche de soi. En l’approchant dans la simplicité du quotidien, on peut voir à l’œil nu se déployer ses vertus comme si sa vie était celle de tout le monde. C’est peut-être là aussi une des raisons pour lesquelles La Brardière lui tient tant à cœur.
Ici, plus tard, jaillira une source, dont l'eau sanctifiera les prêtres.

À cet endroit, Mère Yvonne-Aimée a creusé la terre
Elle voit cependant aussi l’avenir que le Seigneur prépare pour cet endroit. Un jour que les tantes de Père Paul Labutte confient à Mère Yvonne leur tristesse à la pensée de ce qu’il adviendrait plus tard de ce lieu et qu’elles ne seraient pas là pour y assister, Mère Yvonne répond sans hésiter : « Vous le verrez de là où vous serez et vous en serez très heureuses ! »
Lors du séjour qu’elle fait en septembre 1941, elle a une vue prophétique qu’elle confie au Père Labutte. Lui-même la raconte :
« Mère Yvonne-Aimée avait prié intensément pour les religieuses et les prêtres. Le dernier jour, elle descendit avec moi ‘en pèlerinage’ au Petit Bois, témoin de tant de grâces. À peine arrivée, elle fut saisie d'un recueillement profond. Elle leva les yeux vers la cime des arbres, puis s'agenouillant, elle creusa avec les mains la terre, au pied d'un bouquet de chênes, sans cesser de regarder en haut où elle me paraissait prendre ses ordres. Sans doute, n'était-ce pas l'endroit indiqué, car elle se releva, fit quelques pas, et de nouveau
s'agenouilla devant un double chêne où se trouve encastrée depuis longtemps une statuette de la Sainte Vierge. Tout en continuant d'avoir vers le ciel un regard interrogateur, elle creusa encore la terre avec ses doigts puis se releva. Comme je l'interrogeais sur la signification de ce geste, elle me répondit : ‘Ici, plus tard, jaillira une source, dont l'eau sanctifiera les prêtres.’ Je marquai l'endroit d'une pierre. »
L’eau jaillit toujours du Rocher qu’est le Christ, de Son côté transpercé, de la Parole qu’Il nous laisse dans l’Évangile. Cette eau vive a jailli en abondance du cœur aimant de Mère Yvonne-Aimée parce qu’il était tout près du Cœur de Jésus. Si elle jaillit en ce lieu de La Brardière, ce ne peut être que par des cœurs qui, comme le sien, boivent à la même source. Ce lieu est un lieu eucharistique. Il tient son origine d’un miracle pour qu’à l’exemple de Mère Yvonne et avec son aide, ce miracle se produise dans le quotidien de chacun par une vie pleine de la Charité de Dieu.
Mère Yvonne continue dans ce sens, à titre posthume, à attirer les âmes. Ce fut le cas du Père Jean Rolland, professeur à l’université catholique d’Angers. Lors d’un séjour à La Brardière, le Père Labutte lui soumit la correction de la biographie qu’il écrivait sur Mère Yvonne. Sans grand enthousiasme, le Père Rolland les feuilleta dans la soirée mais il se laissa tellement emporter par la lecture que le lendemain, il confia au Père Labutte : « En une nuit, elle m’a fait passer sur l’autre rive ! » Le lien perdura à tel point que ce prêtre voulut être inhumé près de La Brardière au cimetière de la commune de La Chapelle-Viel où il repose.
Mère Yvonne attire les âmes vers le haut parce qu’elle-même s’est laissé saisir par l’Amour du Christ. Si l’on peut parler d’un héritage spirituel, c’est bien celui d’une charité sans borne dont elle a laissé à La Brardière le témoignage dans le quotidien d’une vie normale et simple en Normandie.
« Faites-donc de moi ce que Vous voudrez. Employez-moi à votre guise. Je ne souhaite rien d'extraordinaire mais seulement un amour extraordinaire. ».
Sources : - Paul Labutte, Ma mère selon l'Esprit, éd. Fr.-X de Guibert, Paris, 1997 : p. 632, 543, 328, 541ss, 563
- récits oraux du Père Paul Labutte et de Mère Annie Lefrançois, rapporté par les soeurs de la comunauté Notre Dame